2-De l’accompagnement

Issu d’un entretien avec Marion Wassermann en 2018

Ruth : Ça veut dire plein de choses faire monde : on peut vraiment habiter l’espace de sa propre poésie, qui n’est pas du tout un espace hors du réel, au contraire, qui rend le réel habitable. Parce que faire de la peinture ou des expériences, vivre ça c’est très bien, bien sûr, mais c’est une première étape. Habiter un espace qui émane de sa propre poésie, c’est une toute autre dimension de la création. Ça fait partie d’un événement majeur de l’accompagnement.

Une dame que j’accompagne qui est complètement en dehors de tout, qui n’habite nulle part, qui est dans l’errance parce qu’elle n’a jamais la sensation d’être chez elle, le fait de travailler cet espace du poétique fait qu’à un certain moment, je sens qu’elle a trouvé un chez soi. Qui fait qu’au lieu d’être une schizophrène, elle devient poète. Elle devient poète de sa propre vie. C’est quand même d’une autre ampleur et ça amène une liberté ! Mais ce n’est pas une artiste, elle a une sensibilité, une poésie personnelle, plein de choses qui la font, comme dit Jean-Pierre Klein, devenir artiste de sa vie. C’est aussi ça devenir artiste de sa vie, c’est pouvoir habiter le monde que tu inventes toi-même. Et ce n’est pas un monde coupé des autres, au contraire, cela rend possible d’habiter dans le monde. 

M : On n’accède pas à cela simplement en « faisant un tableau » ! 

R : Non, bien sûr. C’est vraiment faire monde. On ouvre peu à peu un espace poétique où on a l’impression que tout de soi peut y trouver place, dans une mise en écho, bien sûr. Et que tous les évènements autour peuvent habiter cet espace-là. Ca semble abstrait bien sûr, mais ça ne l’est pas ! 

M : En même temps c’est corporel ? 

R : C’est comme si tu modelais un doigt, un pied et une oreille mais que ça ne fait jamais corps. A quel moment ce corps devient suffisamment parlant pour pouvoir exister pleinement, circuler, marcher, parler, trouver une forme d’autonomie. C’est une sensation d’intégrité, de monde où tout se passe, où tout peut se passer. C’est potentiel en fait, où tout peut s’y passer. Et que en tant qu’être humain on peut y trouver place et du coup trouver sa place dans le monde. Ça me semble en art thérapie un événement majeur. Alors bien sûr les gens ne sont pas des artistes, mais ça n’empêche qu’ils peuvent le vivre de manière, comment dire, fractale. Une suite de moments-événement qui vont créer ce faire monde pour eux.

M : Que non seulement tu es capable d’accompagner mais qu’aussi tu reconnais. 

R : Je le reconnais parce que pour moi aussi je travaille à ça, dans ma pratique d’artiste et dans ma manière de vivre ma propre poésie. …

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