Archives de catégorie : Exemples de séances

Papier cristal, papier de soie

Une de mes patientes, dépressive, est venue un jour avec  l’envie de travailler avec du papier : papier cristal, papier de soie etc. Elle les a déchirés en petits morceaux puis collés entre eux ; le papier déjà si fin se fragilisait encore plus, imbibé par la colle. En les manipulant, elle découvre des gestes infiniment délicats pour les passer d’une main à l’autre et baigne dans la transparence fragile du papier, cette douceur peau à peau ; Elle découvre des gestes très simples qui se révèlent pour elle comme  profondément nécessaires pour que s’invente la rencontre la plus accordée possible entre cette matière et son corps, un » recto-verso » chair et matière. Se déroule un voyage silencieux, neigeux, vibrant d’émotions.

« J’ai vraiment l’impression que ça commence » dit-elle à la fin de cette séance.

Quelque chose vient à travers la matière qui l’émeut parce qu’elle sent que cela s’adresse à elle. Quelque chose, jusque là, donnait la sensation d’avoir été délaissée. Tout s’accorde, un instant… Dans ces moments de grâce, quelque chose ‘commence’ qui est ressenti comme le serait un mythe fondateur, un nouveau fondement ; le sentiment d’exister « pour de vrai » peut faire alors irruption avec beaucoup d’émotion. 

Cette expérience n’est ni une mise en miroir de soi vers soi, ni une fusion, ni une recherche d’union mystique avec le monde mais un entre-deux en mouvement entre soi et le monde. C’est, en fait, une pleine participation au monde qui requestionne profondément ce pont de vibrations harmoniques entre expérience intime et rencontre avec le dehors. Cette expérience offre à la personne les premiers éléments d’une nouvelle trame à partir de laquelle pourra se recomposer peu à peu une autre façon d’exister. 

la dimension salvatrice du geste

Cette adulte est suivie en parallèle par un psychanalyste.

Au bout de quelques mois de prise en charge, arrive un moment de crise profonde qui la vrille et qui met en danger autant l’espace verbal de sa psychanalyse que l’espace art thérapeutique. Je comprends que ce moment de crise est une  répétition d’autres situations qui ont été dévastatrices et l’ont amenée, dans sa vie, à des passages à l’acte très violents et à des ruptures thérapeutiques.

Elle se sent rejetée par son entourage, victime de manipulation et a le désir sauvage de détruire l’autre, de lui faire le plus mal possible. « Soit je suis détruite soit je détruis » dit-elle ( soit noir, soit blanc). Pensée binaire du violent, la seule parole possible est la douleur, avoir mal ou faire mal sans possibilité d’apaisement, juste la dépense d’une énergie destructrice avec le maximum de dommages. 

Elle me dit qu’elle ne peut rien faire et je me sens débordée par sa souffrance et la violence exprimée. 

 « Je ne sais pas ce que je viens faire ici ; à quoi sert ce lieu ? ». me dit-elle la séance d’après. 

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L’ACCOMPAGNEMENT d’Annie

Elle n’a aucun lien avec ce qu’elle fait en modelant la terre, aucun affect. Elle se sent comme mutilée, rien ne passe entre elle et ce qui apparaît. Cela entrave tous ses élans d’expression.

L’émergence de la forme comme la venue d’une respiration dont elle prédit toujours l’asphyxie…

Je me surprends à tenter par une tension indéfinissable de mon corps, de rendre présent pour elle un espace conducteur qui favoriserait une porosité entre ce qu’elle ressent et ce qu’elle modèle. Cette tension se précise, c’est comme si je cherchais à sentir la liaison entre la surface de ma peau et mes organes. C’est une réaction intuitive que je ne comprends pas mais je lui fais confiance et tente, à chaque séance, de maintenir ainsi une porte ouverte qu’elle ne peut s’empêcher de constamment refermer. Sans que rien ne soit dit, c’est la seule chose qui se présente pour résister à la violence de son annulation et donner une chance d’exister à ce qu’elle fait. 

Un jour, elle me donna une petite feuille séchée constellée de mica comme un ciel étoilé en me disant qu’elle avait recommencé à rêver.

ACCOMPAGNEMENT de Marie…

Elle maintient avec ce qu’elle modèle une attention distraite, légère, par un bavardage qui l’apaise et la désangoisse. Ses mains semblent modeler sans elle mais pourtant ses gestes se rythment et voyagent. Son corps se détend en se nourrissant de ce que font ses mains avec la terre : elle parle de l’ondulation mouvante des formes qui se meuvent dans le temps ancien et lent de l’érosion naturelle des choses.

Sa présence est comme scindée en deux, une part d’elle dans cette parole qu’elle m’adresse, une autre part, libérée de cette parole, peut exister par ces gestes. 

En se divisant, elle exorcise l’ angoisse; cette angoisse à laquelle elle fait face depuis tant d’années, qui s’amplifie et la taraude jusqu’à des envies de suicide quand elle cherche à se rassembler dans ses tentatives pour devenir écrivain.

Si je tente de gommer cette disjonction en lui désignant ou nommant ce qu’elle est est train de faire surgir, ses gestes se vident presque toujours d’énergie, ses mains se mettent à errer sur les formes devenues inutiles. 

Elle maintient farouchement cette division qui lui est ici vitale, cela lui permet de se vivre autrement que comme une prisonnière. 

Paradoxalement, elle s’y trouve.

Le rendez vous avec la matière peut alors se réaliser pour elle mais d’une façon déconcertante pour moi. En acceptant sa façon de vivre la rencontre avec l’argile, je suis obligée de mettre de coté ma conviction que l’acte créatif a besoin d’unité et de silence.

J’accorde ma présence à la sienne, en même temps attentive à son modelage et divisée par sa parole.

Vivante jusqu’à la mort

J’ai accompagné cette dame pendant une dizaine d’années jusqu’à son décès. Une relation d’une très belle humanité s’est développée tout au long de ces années.

Elle me disait que les séances lui permettaient de se maintenir vivante et entière  et de ne pas se sentir submergée par la maladie,  jusqu’à suspendre  ses  douleurs somatiques résistantes à la morphine. Elle me disait souvent: je voudrais rester vivante jusqu’au bout.

Les dernières semaines, je venais chez elle et, une séance, en quelques coups de pinceaux, juste en suivant avec confiance les quelques indications de respiration que je lui donnais afin de laisser émerger des gestes en résonance avec la fleur qu’elle rêvait de peindre, est apparue à sa surprise émerveillée cette fleur magnifique.

Par la grâce de quelques coups de pinceaux, sa beauté et son éclat l’ont émue comme un miracle .

Cette fleur continue à éclore sous nos yeux et témoigne de cette vie qu’elle a réussie à préserver jusqu’à ses derniers moments.