Dans le cadre de l’Unité Mère-Bébé de l’hôpital Intercommunal de Créteil, dans l’atelier de peinture que j’anime , une maman au contraire des autres mamans, vient à l’atelier morne et sans désir… Au bout de plusieurs séances, me trouvant seule avec elle, je lui propose alors d’aller au bord de la Marne sans dessiner. Il fait beau et derrière l’hôpital, il y a un petit chemin champêtre le long d’un affluent de la Marne avec des jardins ouvriers. La proposition, tout en la surprenant, la soulage. Je lui suggère tout en se promenant de choisir des moments d’arrêts ; quand elle s’arrête, je l’encourage à regarder. Tout en étant toujours surprise et décontenancée par ma proposition inhabituelle, elle l’accepte sans trop de mauvaise grâce.
Regarder est aussi un acte créateur: suivre tout indice de ce que l’œil aime
1er arrêt: Elle remarque de l’autre côté de la rive un fouillis d’arbres qui fait contraste avec les arbres bien rangés de ce côté-ci de la rive. Il cache un petit appentis et elle se pose alors timidement beaucoup de questions que je l’incite à partager avec moi « qu’est ce que c’est ? Pourquoi ce fouillis ? Qu’ y a t il dans cet appentis qu’on ne voit pas bien ? C’est bizarre… » Je lui fais remarquer la découverte du questionnement que convoque cette petite énigme du voir et lui demande de me préciser ce qu’elle ressent. Ne trouvant pas les mots, elle l’exprime spontanément par un petit geste à peine ébauché que je lui propose d’affirmer et de préciser. Toujours décontenancée par ma demande, nous mimons ensemble ce qu’elle voit par des gestes plus affirmés et plus conscients .
Découverte de la participation du corps dans l’adhésion avec le monde
2ème arrêt: Elle voit un saule pleureur . Elle me dit « je n’avais pas remarqué que ses branches semblent séparées de son tronc » elle remarque aussi un arbuste en boule noir en bas et rouge en haut
S’arrêter fait voir des mystères
3ème arrêt: Elle voit un acacia plein de boules de gui. Elle se prête de mieux en mieux au jeu et choisit dans le contre jour, une branche qui lui plaît avec 2 boules de gui . Sur le chemin du retour, levant la tête, elle me dit avec plaisir « ma branche » et rit, surprise de cette appropriation .
Voir donne la sensation qu’on invente; s’approprier ce qu’on voit. Comment l’élection d’un fragment du monde fait que l’on invente son monde.
Je deviens l’auteur de ce que je vois
A notre retour à l’atelier, je lui propose de dessiner ce qu’elle a aimé, de peindre les sensations qu’elle a eu devant l’arbuste, sans chercher à reproduire mais en essayant de retrouver par exemple le fouillis des branches. Elle accepte malgré son inquiétude et au début, pris dans un geste trop ordonné, elle peint des traits bâtons. On parle de ce qu’est la croissance d’une branche et comment un tracé donne le sentiment du vivant, comment ce qui était d’abord un bâton inerte de trait de pinceau devient une ligne qui semble croître comme une branche qui croît. Comment elle peut sentir dans son corps la ligne de la branche; découverte du rythme, du coup de pinceau. Elle en respire profondément… quand elle se surprend à y arriver. La participation corporelle : Comment l’accès à la pulsation du vivant donne du souffle et de l’espace à son propre corps.
Décontenancée et hésitante à en être ravie, nous arrêtons la séance.
Il s’agit, je trouve, d’une vraie leçon de peinture…