L’image publicitaire montre tout (il n’y a rien d’autre à voir que ce qui est montré) ou avec une obscénité pernicieuse, instrumentalise le mystère du caché.
Montrer/cacher/voiler: Par contre, dans toute image poétique authentique, ces 3 mouvements sont à l’œuvre, agissants dans un entrelacement infiniment fragile. Dans ce tableau de Cézanne, le garçon s’expose dans sa verticalité frontale. Il est paisible, juste là dans l’évidence de sa nudité tendrement pudique, tout entier apparaissant et tout entier en retrait, les yeux baissés sur son monde intérieur et son seul pas attentif et incoercible qui ouvre l’espace jusqu’au bord du tableau. Avancer en humain, en poète, ce serait ouvrir ce mouvement du «montré/caché/voilé » qui permet d’accomplir un pas … J’oserai un rapprochement avec un tableau de Bellini, une vierge à l’enfant où l’enfant nu, les yeux baissés comme sa mère vers son premier pas sur la tunique déroulée de la vierge qu’elle offre ainsi à son fils comme chemin. Je trouve ce rapprochement d’autant plus légitime que Pietro Longhi, historien d’art, ne s’en privait pas, en rapprochant peinture renaissante et art moderne (il voyait par exemple Piero della Francesca comme un précurseur de Cézanne). Je le propose aussi pour faire d’autant plus voir/sentir la peinture de ce jeune garçon tel un apôtre profane dans sa mise à nu et son pas aussi décisif que celui de l’enfant. Montrer/cacher/voiler : ces 3 mouvements indissolublement liés au cœur même de la peinture de Cézanne, nous en révèle l’humanité vibrante, dans la simplicité de la présence, à la lumière toute embuée d’un voilement de douceur comme neige qui tombe.
L’étayage structurant du langage apparaît aussi comme un corsetage de la spontanéité enfantine.
L’une des dimensions de cette spontanéité s’exprime dans la contamination du réel par le rêve, contamination que les adultes ressentent en général comme un possible débordement chaotique alors que les artistes le vivent comme la voie d’accès royale à l’expression artistique.
Grandir, c’est construire la rationalité, la causalité aux dépens de la conjonction, la consonance.
Pour les adultes qui ont coupé les racines du poétique, les choses se tiennent « devant eux » ; il n’y a plus osmose silencieuse, connivence. Ils sont uniquement dans une frontalité où domine la représentation et ils ne « participent » plus au monde dans une mise en présence mutuelle.
Accéder au langage permettrait d’accéder à la lecture du monde mais en perdant le chant du monde…
Face à son silence, à la remarque de sa thérapeute, lui disant que l’on pouvait s’exprimer autrement qu’avec des mots, il répondit en atelier (à son désir de disparaître, d’être invisible?) en étalant de la peinture blanche sur du papier blanc; ensuite, il recouvra de peinture noire et y ajouta des paillettes colorées : les ombres de sa tristesse devenaient nuit étoilée. Il mit en scène ainsi son état intérieur dans ces étapes du peindre.
Pourrait-on parler de la force de consolation de l’expression ?
Multiplicité et toupie du sens : la forme est rétive à l’enfermement dans une seule désignation qu’elle soit descriptive ou symbolique et peut même échapper à toute désignation, les associations évocatrices sont quelquefois impossibles ; on a accès directement à la « sensation de sens », le mystère s’exprime mais sans dévoilement ; la forme est la gardienne du secret qu’elle exprime.