Archives de catégorie : Notes d’atelier

L’évènement comme incarnation

Ce n’est donc pas la recherche de sens qui anime la séance d’art thérapie mais la venue d’un évènement fondateur: le fait de se sentir être, se sentir incarner, d’apparaître! L’émergence du sens, s’il survient, est de surcroît.

Mais quelle est la qualité de cet évènement ? C’est la sensation d’une « 1ére fois » et que ce commencement est comme un mythe fondateur, qui fait nouveau fondement pour soi.

Le sujet se découvre alors auteur d’un acte libre qui ne se légitime que par sa qualité particulière de surgissement et en rupture avec la suite logique des causes et des effets auquel est soumis normalement tout évènement.

« Restaurer l’instant créateur d’où jaillit la légèreté, le devenir dansant. » (Nietzsche)

Ce n’est pas un phénomène psychologique mais  une expérience ontologique : Maldiney dit magnifiquement dans son livre «  L’art, l’éclair de l’être », cet apparaître comme « éclaircie absolue, comme évènement-avènement, là où il y va de l’être. »

Un enfant me disait en étalant des couleurs A l’atelier, je fais de l’amstrait

La mise en forme comme dépassement

Terre sur papier

En art thérapie, on favorise un décalage, un déplacement par rapport à soi. Sinon, la personne reste emprisonnée dans le récit de son angoisse et son angoisse alimente continuellement sa propre asphyxie (Antonin Artaud – L’ombilic des Limbes)

Il n’y a même  pas la nécessité que la souffrance soit reconnue ou dévoilée. L’ expression n’est pas un prolongement du vécu. On recherche plutôt une ouverture  où peut  se déployer  les qualités sensibles et imaginaires au service de la “forme” et non au service de soi dans un auto-engendrement souvent stérile.

Klein dit dans « de l’inconnu à l’inconnu » que l’art thérapie est une symbolisation énigmatique accompagnée.

Ce qui compte, plus que l’expression de la souffrance, c’est l’action de transformation même, le renversement de la matière éthérée de la vie psychique à la matière concrète (ici terre ou peinture) qui se met en forme à travers ses lois et ses limites. On propose  une expérience qui est à vivre dans le registre d’une matière qui nous impose ses lois propres. Tel un rayon lumineux qui se diffracte en passant du milieu aérien au milieu aquatique, on se soumet à des lois d’un autre milieu que le mental, les lois du tangible.
On se tourne vers ce qui se manifeste de vital et de naturel d’emblée mais qui n’a pas  trouvé jusque là, l’opportunité de se manifester ou d’être reconnue par la personne elle-même. Au lieu de s’occuper de ce qui entrave, de ce qui est difficile ou dépressif, on va naturellement du côté où se joue facilement le vital; on est appelé à rencontrer l’émergence de dimensions jusque là inconnues et qui s’imposent avec naturel.
L’énergie créatrice révèle alors des forces authentiques et profondes qui viennent perturber par contraste le scénario dépressif.

Les taoïstes parlent de nourrissement énergétique : rejoindre un processus naturel comme la plante croît. En déployant le potentiel vital entravé, on désenlise la vitalité , l’ être est décapé de toutes les obstructions et  rendu à son intensité primitive.
On accède à sa vie ouverte au renouvellement au lieu de stagner et de s’enliser. (F. Jullien Nourrir sa vie).

La rencontre avec la matière est l’évènement à laisser venir qui, fondamentalement, apaise. L’art thérapeute  crée des conditions pour que la personne puisse s’alléger, sans peur, de toute intention : rencontrer la matière sans “savoir” pour, ensuite, pouvoir se reconnaître ou se surprendre sujet de ce qui est arrivé sans l’avoir voulu ou cherché.

Ce n’est que cet espace d’utopie libéré par l’énergie créatrice qui peut nous aider à percevoir une mise en mouvement alors qu’on la considérait impossible. L’utopie étant une chose non encore réalisé dit Mouchkine !
Bachelard ” L’homme ne se trompe pas en s’exaltant, la poésie est un des destins de la parole ; nous touchons à une parole qui ne se borne pas à exprimer des idées ou des sensations mais qui tente d’avoir un avenir.”

Se taire et parler

Je suis souvent confrontée au silence soit à certains moments de la séance soit pendant toute la séance. Toute mon attention est alors tournée vers la perception de ce que le silence porte. Il ne s’agit pas bien sûr d’occuper artificiellement le silence par une parole censée porter la relation, dans une relation langagière obligée mais d’utiliser paradoxalement le silence comme langage souterrain, en étant attentive aux différentes qualités des silences : il y a des silences vides et stériles mais aussi des silences riches et conducteurs dans lesquels on peut s’installer et grâce auxquels un véritable échange peut exister.
Tout mon effort est justement de laisser le silence prendre sa place en acceptant le retrait nécessaire, en nourrissant ce silence de ma présence, en m’ajustant à une sensibilité qui devient atmosphérique et spatiale.
Le silence est comme une assise qui peut permettre alors l’élan de la parole.