
En art thérapie, on favorise un décalage, un déplacement par rapport à soi. Sinon, la personne reste emprisonnée dans le récit de son angoisse et son angoisse alimente continuellement sa propre asphyxie (Antonin Artaud – L’ombilic des Limbes)
Il n’y a même pas la nécessité que la souffrance soit reconnue ou dévoilée. L’ expression n’est pas un prolongement du vécu. On recherche plutôt une ouverture où peut se déployer les qualités sensibles et imaginaires au service de la “forme” et non au service de soi dans un auto-engendrement souvent stérile.
Klein dit dans « de l’inconnu à l’inconnu » que l’art thérapie est une symbolisation énigmatique accompagnée.
Ce qui compte, plus que l’expression de la souffrance, c’est l’action de transformation même, le renversement de la matière éthérée de la vie psychique à la matière concrète (ici terre ou peinture) qui se met en forme à travers ses lois et ses limites. On propose une expérience qui est à vivre dans le registre d’une matière qui nous impose ses lois propres. Tel un rayon lumineux qui se diffracte en passant du milieu aérien au milieu aquatique, on se soumet à des lois d’un autre milieu que le mental, les lois du tangible.
On se tourne vers ce qui se manifeste de vital et de naturel d’emblée mais qui n’a pas trouvé jusque là, l’opportunité de se manifester ou d’être reconnue par la personne elle-même. Au lieu de s’occuper de ce qui entrave, de ce qui est difficile ou dépressif, on va naturellement du côté où se joue facilement le vital; on est appelé à rencontrer l’émergence de dimensions jusque là inconnues et qui s’imposent avec naturel.
L’énergie créatrice révèle alors des forces authentiques et profondes qui viennent perturber par contraste le scénario dépressif.
Les taoïstes parlent de nourrissement énergétique : rejoindre un processus naturel comme la plante croît. En déployant le potentiel vital entravé, on désenlise la vitalité , l’ être est décapé de toutes les obstructions et rendu à son intensité primitive.
On accède à sa vie ouverte au renouvellement au lieu de stagner et de s’enliser. (F. Jullien Nourrir sa vie).
La rencontre avec la matière est l’évènement à laisser venir qui, fondamentalement, apaise. L’art thérapeute crée des conditions pour que la personne puisse s’alléger, sans peur, de toute intention : rencontrer la matière sans “savoir” pour, ensuite, pouvoir se reconnaître ou se surprendre sujet de ce qui est arrivé sans l’avoir voulu ou cherché.
Ce n’est que cet espace d’utopie libéré par l’énergie créatrice qui peut nous aider à percevoir une mise en mouvement alors qu’on la considérait impossible. L’utopie étant une chose non encore réalisé dit Mouchkine !
Bachelard ” L’homme ne se trompe pas en s’exaltant, la poésie est un des destins de la parole ; nous touchons à une parole qui ne se borne pas à exprimer des idées ou des sensations mais qui tente d’avoir un avenir.”