Archives de catégorie : Réflexions sur l’art thérapie

qu’est-ce que penser en art therapie ?

Dès qu’il s’agit de penser ce qui se vit en atelier, beaucoup se sentent démunis ou ne savent pas comment faire.  

Certains arts thérapeutes s’appuient une bonne fois pour toutes sur les bases théoriques de l’art thérapie apprises lors de leur formation mais le risque est que ce savoir reste formel et statique face à une expérience par principe mouvante et singulière. D’autres se perdent dans une recherche théorique labyrinthique qui s’appuie sur des modes de pensée disparates ou censés légitimer leur recherche mais qui gomme l’originalité de cette pratique et peut devenir rapidement très abstraite.

Il y a d’autant plus une réflexion à avoir autour de la question de la théorie en art thérapie, que l’art thérapie fait partie d’une profession émergente et qu’il y a à inventer et encourager la recherche d’une pensée qui préserve sa singularité en nous distinguant des autres théories thérapeutiques.

Il y a bien sûr des écrits qui ont déjà témoigné de cette recherche et, notamment les concepts de Jean Pierre Klein et je conseille vivement la lecture de son livre « Penser l’art thérapie ».  

Mais se pose plus largement le statut de la pensée dans une approche qui est fondamentalement expérientielle : Pour être dans une pensée vivante qui me semble, à mon sens, la seule éthiquement possible, il est nécessaire de continuellement se requestionner. 

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J’ai une sorte de petit credo que je vous livre. A vous de voir si cela vous parle :

1-Les concepts quels qu’ils soient ne sont pas des vérités absolues et des preuves qui légitimeraient la pratique mais sont continuellement à mettre à l’épreuve de sa pratique d’art thérapeute et de créateur.

2-La théorie ne donne pas accès à l’expérience mais a le rôle de l’éclairer.

3-La théorie n’est pas une finalité mais encourage à approfondir, affiner, enrichir encore plus l’expérience.

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Il y a les connaissances de surplomb comme la psychopathologie, l’histoire et critique d’art, les théories liées au monde de la thérapie avec une recherche qui cherche idéalement à faire système, qui permet de confirmer, comparer, évaluer, argumenter, donner des repères, inventer des concepts. 

Cela va permettre de voir comment on s’en distingue, savoir ce qui est commun ou étranger mais il ne faut pas se restreindre à ces connaissances qui servent à modéliser, à généraliser.  On ne peut se satisfaire de la seule logique de la nosographie psychiatrique ni des concepts psychanalytiques ou des concepts plus larges concernant l’accompagnement.

Il y a à chercher un corpus de connaissances qui donne à l’expérience et au vécu toute sa place, des connaissances en direct qui mettent au travail la pensée : sa pratique artistique et art thérapeutique et celles des autres, la rencontre des œuvres, les écrits des artistes et des poètes, les philosophes de l’expérience vécue (phénoménologie et existentielle), les grands courants dits spirituels qui ont une connaissance millénaire de la pratique intérieure, certaines pratiques corporelles et son propre travail de thérapie et de supervision.

Le premier mode de connaissance est un cheminement différé, par nature textuel alors que dans les connaissances en direct, est toujours présent, d’une façon ou d’une autre, la voix d’un être humain qui s’adresse à un autre être humain. Ces connaissances ont à retrouver leur pleine légitimité dans une pensée de l’art thérapie.

2-De l’accompagnement

Issu d’un entretien avec Marion Wassermann en 2018

Ruth : Ça veut dire plein de choses faire monde : on peut vraiment habiter l’espace de sa propre poésie, qui n’est pas du tout un espace hors du réel, au contraire, qui rend le réel habitable. Parce que faire de la peinture ou des expériences, vivre ça c’est très bien, bien sûr, mais c’est une première étape. Habiter un espace qui émane de sa propre poésie, c’est une toute autre dimension de la création. Ça fait partie d’un événement majeur de l’accompagnement.

Une dame que j’accompagne qui est complètement en dehors de tout, qui n’habite nulle part, qui est dans l’errance parce qu’elle n’a jamais la sensation d’être chez elle, le fait de travailler cet espace du poétique fait qu’à un certain moment, je sens qu’elle a trouvé un chez soi. Qui fait qu’au lieu d’être une schizophrène, elle devient poète. Elle devient poète de sa propre vie. C’est quand même d’une autre ampleur et ça amène une liberté ! Mais ce n’est pas une artiste, elle a une sensibilité, une poésie personnelle, plein de choses qui la font, comme dit Jean-Pierre Klein, devenir artiste de sa vie. C’est aussi ça devenir artiste de sa vie, c’est pouvoir habiter le monde que tu inventes toi-même. Et ce n’est pas un monde coupé des autres, au contraire, cela rend possible d’habiter dans le monde. 

M : On n’accède pas à cela simplement en « faisant un tableau » ! 

R : Non, bien sûr. C’est vraiment faire monde. On ouvre peu à peu un espace poétique où on a l’impression que tout de soi peut y trouver place, dans une mise en écho, bien sûr. Et que tous les évènements autour peuvent habiter cet espace-là. Ca semble abstrait bien sûr, mais ça ne l’est pas ! 

M : En même temps c’est corporel ? 

R : C’est comme si tu modelais un doigt, un pied et une oreille mais que ça ne fait jamais corps. A quel moment ce corps devient suffisamment parlant pour pouvoir exister pleinement, circuler, marcher, parler, trouver une forme d’autonomie. C’est une sensation d’intégrité, de monde où tout se passe, où tout peut se passer. C’est potentiel en fait, où tout peut s’y passer. Et que en tant qu’être humain on peut y trouver place et du coup trouver sa place dans le monde. Ça me semble en art thérapie un événement majeur. Alors bien sûr les gens ne sont pas des artistes, mais ça n’empêche qu’ils peuvent le vivre de manière, comment dire, fractale. Une suite de moments-événement qui vont créer ce faire monde pour eux.

M : Que non seulement tu es capable d’accompagner mais qu’aussi tu reconnais. 

R : Je le reconnais parce que pour moi aussi je travaille à ça, dans ma pratique d’artiste et dans ma manière de vivre ma propre poésie. …

1-De l’accompagnement…

Issu d’un entretien avec Marion Wassermann en 2018

A propos du travail avec l’argile:

…R : Tout ce que l’on appelle la dimension haptique; ne pas simplement être avec le toucher des mains mais qu’il y ait le déclenchement d’une tactilité globale qui engage toutes les parties de son corps. Il y a vraiment un travail qui se fait où tout de la personne est engagée, toute sa peau est présente, son visage, son poids, toutes ses dimensions, qui sont dans les mains et qui, en fait, imbibent toute l’organicité de la personne. Elle est engagée dans la totalité de sa propre matière.

Quand je sens que la personne passe à cette étape-là, je sais qu’il peut s’y passer quelque chose d’important. Cela peut paraître banal mais il ne peut y avoir transformation qu’à la condition d’un plein engagement de la personne dans l’action créatrice performative.

Il y a une jeune femme à une séance, qui faisait des gestes répétés sur une petite boule de terre. Tout son corps est entré dans un rythme tactile et je sentais qu’il y avait une rythmicité et une pulsation interne à laquelle elle avait accès à travers ce toucher premier des mains, qui avait après envahi tout d’elle. L’accès à cette pulsation était absolument essentiel pour elle. 

La personne contacte un rythme corporel, des façons de toucher, des sensations qui sont comme des choses qui peuvent faire ressource, on sent qu’elle s’en nourrit. Dès que la personne contacte ça, si je sens que la personne se demande ce qu’il se passe : « Pourquoi je fais ça ? », je vais tout simplement l’encourager à le vivre. 

M :  Est-ce que tu sens que chez toi ça transforme aussi la nature de ton attention ? 

R : Ah oui. Ce qui me l’indique, ce sont des indices corporels. 

M : Chez toi, en plus d’observer le corps de l’autre ? 

R : Oui parce qu’en fait je n’observe pas. Non, je ne suis pas en train de la regarder en me disant, tiens, est-ce qu’elle se tient bien droite sur sa chaise. C’est plutôt une attention périphérique. Je pense qu’on est dans une perception subtile. Si on passe par une observation, on accède à certaines choses, mais si on veut accéder à des choses plus subtiles, c’est une perception périphérique, c’est à dire tout ce qui est au bord de la perception. Que ce soit au niveau visuel, au niveau tactile, au niveau du ressenti du corps de l’autre. Je n’ai pas besoin de la regarder, je sens l’espace qui l’entoure. Et là il y a des indications très puissantes.

Parce que quand je suis à côté de la personne, je ne suis pas en attente, je participe avec elle dans l’immédiateté de son expérience. Tous mes propres ressentis sont contactés, quand elle touche la terre, je la touche avec elle. Je ne lui dis pas ce que je ressens, mais je sens qu’il y a cette résonance. Entrer dans la continuité attentionnelle aussi est très importante, parce que cela permet d’entrer dans son rythme, sa temporalité et d’accéder à cette subtilité perceptive. Si tu as des moments où ton attention s’échappe, c’est comme un panier percé. Et du coup tu n’es plus englobante. La personne je l’englobe avec la matière qu’elle rencontre, c’est large. Je pourrais dire que je regarde avec mon corps entier. Le regard a sa place, mais il est loin d’être le seul. Toute cette dimension haptique, je la vis moi aussi. 

Je pense que c’est aussi cette attention que j’ai à mon propre corps, de ce qui s’y passe, bien sûr en relation avec ce que vit la personne, qui contient l’autre. On créé une sorte d’Athanor dans laquelle la personne se sent contenue, englobée par la présence de l’art thérapeute, et du coup peuvent se vivre des choses qu’elle ne pourrait pas vivre si l’espace était trop ouvert, fuyant. C’est essentiel…

Le non-savoir

On pose les bases d’un défi poétique : tout en ayant “les yeux bandés”, ouvrir un dialogue avec la matière à qui nous donnons le pouvoir de nous guider.

La voie de l’énergie créatrice est cette force de connaissance émergeant des mouvements d’ignorance auxquels on décide de se soumettre.

La forme peut délivrer son enseignement mais reste gardienne du mystère qu’elle exprime. Elle a le même rôle que le fétiche et perdrait sa fonction magique si on en défaisait les liens et les tissus. C’est la préservation de son mystère qui la rend opérante.

Ensuite, il y a tout un travail pour s’en reconnaître l’auteur…

Du langage-objet à la chair du langage

Texte de la conférence donnée à l’occasion du Colloque de la FFAT en Mars 2017

La place du langage et plus souvent, de la parole dans l’accompagnement est délicat et pose beaucoup de questions.

Le langage verbal serait incapable de s’approcher du vécu, d’en rendre compte et pousserait à une posture objective qui fige. La mise en mots chosifierait l’expérience créatrice ou la dévaluerait comme étant juste éphémère et anodine.

De plus, la mise en mots dévoile notre vulnérabilité car elle nous confronte à cette incapacité de notre langage à être à la hauteur de l’expérience éprouvée. Du coup, il y a le risque de s’embourber dans l’explicatif, la justification ou la banalité.

La plupart du temps, que l’on soit en position d’art thérapeute ou de personne accompagnée, le langage se limiterait à du commentaire inutile ou nous acculerait à ce que nous avons voulu dire dans la forme, un « vouloir dire », qui ne peut, souvent, que nous fourvoyer, et stopper le mouvement qui nous porte en avant de nous vers ce mystère qu’est la forme.

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Dans les premiers temps de mise en création (surtout chez l’adulte), il y a souvent à endurer des moments de flottement et d’errance qui ont à se désencombrer de toutes ces questions que l’on peut se poser : « pourquoi je fais ça, ça sert à rien, de toute façon je ne saurais pas quoi en faire, ça n’a pas de sens etc. »

Quand j’ai commencé, je n’arrêtais pas de me dire « tais-toi ! tais-toi ! » ; je devais résister à la tentation de parler, car je pensais que ma parole éviterait à la personne cette phase fragile du flottement.

Grâce à ma stabilité et mon appui, une qualité d’attention silencieuse, je sais maintenant que cette 1ére phase si inconfortable pour elle et … pour moi, peut être essentielle pour laisser place ensuite à une autre phase où la personne va entrer dans l’écoute de ce que la mise en forme lui renvoie en termes de sensations, impressions, images, états d’âme…le mystère peut commencer à opérer… Continuer la lecture de Du langage-objet à la chair du langage