Ma recherche sur les processus créatifs m’a permis de façonner un certain nombre de convictions intimes qui me servent de guide dans mes interventions. Une des dimensions fondatrices d’une expérience véritablement créatrice, me semble être :
La rencontre avec la matière et l’engagement du corps.
C’est vers cette expérience par laquelle je commence ou retourne chaque fois que je sens la personne perdue.
Le 1er fil d’Ariane est de découvrir les lois qui gouvernent la matière que ce soit la terre, la peinture, le mouvement, ..
Cette rencontre avec une matière n’a de sens que s’il y a une véritable implication sensible et corporelle, que s’il y a engagement du corps .
La rencontre avec une matière demande une écoute intuitive . L’écoute intuitive est une écoute qui a perdu son intentionnalité ; il ne faut pas chercher à être dans le saisissement inquiet d’un objectif de forme, il faut se détacher de l’avidité du but. Les sens vagabondent alors sans être entravés.
Je n’ai rien à attendre d’une forme, seulement être avec la matière .
« Les images de la matière, on les rêve en écartant les formes, le devenir des surfaces ; elles ont un poids, un cœur » dit Bachelard dans l’eau et les rêves.
Par exemple dans le travail avec la terre, comment peut-on animer la terre en partant du présent du geste et en le nourrissant du poids, de l’énergie spontanée du geste, partir de choses très simples : Qu’est ce que la main aime contenir ? Trouver ce qui est le plus naturel, ce qui coule de source et quels vocabulaires cela déploient : creux, courbes, modelé, matières…
Ne pas oublier la dimension polyphonique de la sensibilité et s’essayer à une perception globalisante des choses.
Chacun vit cette rencontre en découvrant les lois de la matière travaillée avec sa singularité. L’un va plus découvrir le rapport avec l’eau, l’autre avec le poids et cela amènera au déploiement d’un véritable vocabulaire personnel de gestes et de rythmes qui libère alors l’imaginaire.
Il y a déclenchement d’un rêve et découverte dans le temps du geste de ce que la terre nous renvoie comme sentiment ou émotion.
Laisser parler la terre à travers les lois qu’elle nous révèle et les accidents qu’elle provoque ; instaurer un véritable dialogue avec elle. C’est ce renversement d’une intention rêveuse vers ce moment où la terre demande ce qu’elle veut ; ce renversement-là est très précieux ; il est du même ordre chez un romancier qui invente des personnages qui se mettent à vivre d’eux mêmes.
Pour guider vers ce renversement puis ses allers et retours, il faut percevoir les gestes authentiques qui dénotent une vraie implication et faire ressentir subtilement l’équilibre à trouver entre l’intention et l’impulsion .
Cette perception se rapproche de ce que dit Petitmengin de l’expérience intuitive et ressemble étrangement à la disposition d’écoute mystique mais qui serait là profane ou de l’écoute amoureuse.
Le résultat est dû alors plus à l’aboutissement d’un élan qu’une forme fixée et provoquera presque toujours un étonnement qui interrogera la personne sur elle-même. Il y a en art toujours un côté sphinx à solliciter .